jeudi 9 mai 2013

Marcha contra el paro y la precariedad 4: 1er Mai à Murcia

(Précédemment: 
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1er Mai 2013, de Molina à Murcia



Avec cinq camarades d’Archena, nous retournons à Molina pour prendre le départ de la marche. Nous sommes déjà plusieurs centaines. Des bus sont descendus de Yecla pour rejoindre celles et ceux qui ont marché tous ces jours. Et puis beaucoup sont montés depuis Murcia. Les drapeaux de la République espagnole sont omniprésents. Aucun drapeau bicolore de la monarchie et du franquisme. Des slogans antifascistes retentissent quand la marche passe devant un bar qui affiche ce drapeau.



La marche rejoint la deux-fois-deux-voies qui mène à Murcia. Le ciel est clair, d’autant plus qu’il a été lavé par la pluie de la veille. Il fait frais, mais le soleil chauffe vite. Dès la première cote, les vestes tombent, et la marche s’étale. Le nombre paraît d’autant plus conséquent alors. Je chemine avec Antonio, le conseiller municipal IU d’Archena. Lui aussi s’étonne de l’ampleur des manifestations contre le mariage pour tous en France. La discussion nous mène à parler du chômage et du travail au noir dans les champs. En fait, même là les espagnols ont du mal à s’employer. Ce sont plutôt des immigrés qui sont engagés par les propriétaires des fincas. Par réflexe, je lui fais la remarque qu’il s’agit du vieux schéma de mise en concurrence des travailleurs. Il me détrompe. Le salaire horaire pour les immigrés est en moyenne de 5€. Ce qui fait 200€ pour une semaine de quarante heures, soit 800€ mensuel! Mais beaucoup d’espagnols acceptent de travailler pour 4 voire 3€ de l’heure. C’est que les espagnols ne savent plus travailler aux champs. Ils ont désappris. Antonio me raconte alors comment son grand-père était chevrier. Il  avait quelques dizaines de chèvre. C’était un travail qui supposait toute une « culture ». Lui-même a appris et saurait s’occuper des bêtes, mais ses enfants et petits-enfants n’en ont aucune idée. Il me raconte encore que son père avait deux cochons, quelques chèvres, des poules et des lapins. Ils habitaient au centre-ville d’Archena, à quelque pas du marché couvert actuel. Et tout le monde avait ainsi ses bêtes à la maison. Il faut s’imaginer l’odeur dans les rues d’Archena des années 1950 ! Quand ils coupaient les branches des citronniers et des abricotiers dans les huertas, ils les ramenaient pour donner le feuillage aux chèvres. Puis ils donnaient les branches aux lapins qui grignotaient l’écorce. Enfin, le bois qui restait séchait vite et servait pour le feu de cuisine. Aujourd’hui les branchages de taille des vergers sont brulés sur place, les lapins sont des grosses bêtes aux yeux rouges élevés en batterie et les enfants ne savent pas que les poules ont des plumes…

Puis je lui demande ce que c’est que d’être le seul conseiller IU dans une petite bourgade de la province de Murcia. Beaucoup de travail, surtout au début. Les veilles de conseils municipaux, il veillait jusqu’à quatre heure du matin pour préparer les dossiers et ses interventions. Surtout qu’à l’époque où il a commencé, c’était le boom immobilier, et le conseil municipal se réunissait souvent sur les questions d’urbanisme. Maintenant, c’est plus calme. Et puis, il a pris des habitudes. Il a appris beaucoup de choses. Il a moins besoin de travailler ses dossiers. Heureusement, parce que physiquement, il ne pourrait plus. Tout ce travail au conseil municipal est éreintant. Il est forcément en minorité. Parfois à 8 contre 9, avec les 5 conseillers PSOE et les 2 « divers droites », contre les 9 du PP. Mais aussi souvent tout seul. Et puis, depuis une réforme de Zapatero, certaines décisions peuvent être prises par la majorité sans débat au conseil municipal. Plusieurs décisions clef d’urbanisme ont été prises là. Alors Antonio a commencé à engagé des actions en justice. C’est une véritable rupture. Jusque là, il y avait un accord tacite entre partis : on pouvait tout se dire, au conseil pendant les délibérations, ou même par déclarations publiques. Une action en justice, c’est très mal vécu. Y compris parmi les militants IU, beaucoup étaient réticents. Il s’agit de dire que la maire, qui a remporté entre 60 et 40% des suffrages, mérite d’aller en prison. A Archena, tout le monde est cousins à un degré ou un autre… Il s’agit de deux projets immobiliers, où la mairie à donner le permit de construire, malgré un avis négatif de l’architecte officiel. Ce sont des cas de prévarication car une décision a été appliquée en sachant qu’elle était illégale. Seulement la municipalité a réussi à retourner la situation. Là où les plans déposés prévoyaient une vingtaine de logement, ce sont des centaines d’appartement qui ont été livrés. Du coup les raccordements d’électricité et d’eau ne sont pas suffisants. Aux personnes qui s’en plaignent une fois les logements livrés, la mairie répond que c’est la faute du procès en cours qui a fait obstruction au bon déroulement des travaux. Je me fais la réflexion en l’écoutant à quel point il faut soutenir humainement celles et ceux qui se mettent en avant dans nos actions, que cela soit en tant que porte-parole ou bien en tant qu’élu.

Vers midi, nous arrivons au rond-point qui marque l’entrée de la ville de Murcie. C’est là que confluent notre marche avec celle venu du Nord-Est de la Province. J’aperçois de loin Cayo Lara, leur porte-parole actuel de IU, entouré de micros. Au fur et à mesure que nous avançons dans l’avenue principale, nos marches se confondent avec le défilé syndical du 1er mai. Il y a du monde. Les discussions que nous avions avec Tete à propos du sens de cette marche prennent un autre relief au milieu de cette foule. Nous étions une cinquantaine tout au plus à Archena. Parfois même une vingtaine sous la pluie battante tranversant les huertas et leurs hameaux. Mais aujourd’hui, avec le beau soleil dans le ciel lavé par les pluies de la veille, nous sommes plusieurs dizaines de milliers. Je ressens la fierté que certainement partagent celles et ceux qui ont fait la route depuis Yecla. Elles/ils sont au chômage. Méprisés par beaucoup, et trainant jour après jour un sentiment de culpabilité même vis-à-vis de leurs proches qui pourtant savent comment elles/ils en sont arrivé.e.s là, elles/ils ont réalisés une prouesse physique et mentale et ce retrouvent aujourd’hui entourés des milliers de celles et ceux qui disent haut et fort que « ceci n’est pas une crise, mais une tricherie ».




Je retrouve dans la marche David Hernandez Castro, membre du parti « Ecosocialistas de laRegion de Murcia », que l’on m’avait présenté la veille. Nous reprenons la discussion entamée hier. Son parti a longtemps été un courant au sein de IU qui a essayé de faire accepter les principes de l’écoscocialisme, en particulier ceux qui ont trait à la démocratie interne. Depuis un an, ils ont décidé de se constituer en parti à part entière, pour pouvoir peser dans le fonctionnement de IU comme un partenaire parmi les autres. Il s’agit à la fois de constituer un parti à l’échelle nationale, qui fonctionne selon les principes écosocialistes de la démocratie « assembléaire » et de constituer une formation qui favorise l’entrée des militants de conscience écologiste dans IU, jusqu’à présent dominé par le PCE. En effet, en Espagne, contrairement à la France et à l’Allemagne, les électeurs sensibles aux enjeux de l’écologie sont quasiment confondus avec celles et ceux qui ont tendance à voter pour la gauche comme IU. Il n’y a pas vraiment d’environnementalistes de droites ou de verts-libéraux favorables au « capitalisme vert ». Los Verdes sont déjà engagés dans des coalitions électorales avec IU dans certaines communautés, comme Murcia, mais ne sont jamais membres à part entière de IU. Pour David, l’écosocialisme repose sur deux piliers : l’écologie sociale et la démocratie participative. En conséquence, l’organisation interne des écosocialistes doit correspondre à ce qu’elles/ils proposent pour la société. C’est pourquoi elles/ils sont très critiques contre les parti « traditionnels », en particulier ceux qui dans IU prétendent œuvrer pour un changement de système mais continuent de fonctionner de manière pyramidale, avec délégations de pouvoir. Les écosocialistes comptent elles/eux se réunir en congrès annuellement, contrairement au PCE et à IU qui renouvellent leurs instances et leurs orientations que tout les trois ou quatre ans. Lors des congrès écosocialistes, il n’y aura pas de délégations de vote. Chaque adhérent, et même sympathisant, pourra voter et participer aux débats, soit en étant présent, soit via des moyens de communications à distance. Pour l’instant, les écosocialistes étaient limités à la province de Murcia. Elles/ils commencent tout juste à étendre leur organisation sur l’ensemble de l’Espagne. Nous verrons comme cela marchera à l’épreuve des faits. David est directement impliqué dans la conceptualisation et l’organisation de la démocratie participative interne. Il écrit d’ailleurs en ce moment même une thèse sur le sujet. En discutant avec lui, j’ai l’impression de me retrouver dans la position de l’arroseur arrosé. Plusieurs fois ces derniers jours, je parlais au gens que je rencontrais dans la marche de l’écosocialisme en train d’être formulé par le parti de gauche en France. Et je découvre une forme d’écosocialisme peut être plus avancé sur certaines questions, en tout cas qui pourrait nous donner des leçons, à nous qui à l’évidence fonctionnons (encore) comme un parti traditionnel. En tout cas les écosocialistes de Murcia affirment sans détour que la démocratie participative fait partie intégrante du projet de l’écosocialisme, et que les organisations qui le portent doivent mettre en pratique en leur sein cette forme de partage du pouvoir. David m’enverra des liens de ses publications. Beaucoup de documents de haute portée philosophique et théorique à étudier en espagnols !

Le défilé du premier mai arrive à son terme, devant le vieux pont sur le Segura. Pepe me dit que d’après la surface occupée par la manifestation, nous serions plus de 50 000, là où d’habitude entre 2 et 3000 personnes se réunissent pour le 1er Mai, 5000 les années de grande mobilisation. Le soir je lirai sur les journaux (de gauche) que nous étions 15 000. Nous étions là, et nombreux, c’est ce qui compte. Beaucoup de gens portant le T-shirt vert appelant à la grève générale de l’éducation pour le 9 mai. Des drapeaux de toutes les organisations de IU, mais aussi hors de IU la Izquierda Anticapitalista (le NPA espagnol), et quelques groupes socialistes. Et évidemment les syndicats dont on m’a fait une explication sur leur positionnement. Les commissions ouvrières (CC.OO, l’équivalent de la CGT française, historiquement proche du parti communiste), la CNT avec ses fameux drapeaux noir et rouge, la CGT (qui est une scission de la CNT), et l’intersindical avec qui je marchais, qui a longtemps était surtout présent parmi les enseignants (sous le nom de STERM) et qui s’élargit à toutes les catégories professionnelles (d’où son nouveau nom). Je retiendrai la courte discussion avec une délégation des CC.OO. réunissant des travailleurs sénégalais. Je leur demandais s’ils ne souffraient pas du racisme. Il est ici tellement présent que ceux d’entre eux qui ont été en France disent n’en pas ressentir chez nous. Les drapeaux de la République dominent partout. Ici, on demande l’établissement de la troisième République. Les slogans les plus souvent repris sont : « Si se puede, no lo quieren » (Si on peut, ils ne veulent pas), « nous ne paierons pas leur dette avec l’éducation, la santé, … », « ceci n’est pas une crise, c’est une tricherie/guet-apens », etc.  

A suivre... 
 

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