mercredi 1 mai 2013

Marcha contra el paro y la precariedad 3: de Archena hasta Molina de Segura.



(Précédemment: 
)
 30 avril 2013,

Petit-déjeuner au soleil devant la salle multi-sport. La fatigue se voit sur les visages des marcheurs de la veille. La nuit ne leur a pas permit de tout à fait récupérer. Les camarades d’Archena préparent le petit-déjeuner, puis des bocadillos avec les restes de charcuterie de la veille, pour emporter.
La voiture aux haut-parleurs arrive. El canto a la libertad retentit à nouveau. Nous nous mettons en marche, direction la mairie. Marco, qui est né et a grandit à Lyon avant de revenir se marier à Murcia, rouspète : « il y a même pas un conseiller municipal PSOE ». La mairie d’Archena est tenue par la droite, le PP, depuis 18 ans. Sur 17 conseillers municipaux, 5 sont PSOE, et 1 IU, Antonio. Antonio était là la veille pour accueillir la marche. Aujourd’hui, il est au travail.

Dans les rues, comme hier, beaucoup nous applaudissent. Beaucoup aussi nous regardent de travers. Marco continue de râler :  « Ici, à Archena, il y a 2000 chômeurs [sur 15 000 habitants], s’ils étaient là, à la marche, ça ferait une autre impression… ». Je lui demande, d’après lui, où sont-ils ? Il ne sait pas trop. Il n’a pas d’explication. Il me répète ce qui se disait à la réunion de préparation : beaucoup sont au chômage, mais travaillent, au noir.

Devant la mairie, Coi, l’organisateur de la marche, et Pépé, porte-parole du collectif d’accueil sur Archena, font un discours. Sur la façade de la mairie, une immense banderole demande « Agua para todos ! » (De l’eau pour tous). Il s’agit d’une revendication de la province de Murcie, soutenue par le PP, pour obtenir des volumes plus importants de transfert d’eau depuis le nord de l’Espagne. Cette eau supplémentaire, à ce qu’on m’a dit, ne servira pas vraiment à l’agriculture irriguée. Les manques que connait l’agriculture seraient facilement résolus par la rénovation des canaux déjà existants pour éviter les pertes. Mais il s’agit de permettre encore plus de tourisme de masse, plus de piscines individuelles pour les résidences secondaires, et plus de golf… Je me fais la remarque que cette municipalité PP revendique la solidarité pour l’eau au niveau national et qu’on pourrait détourner ses mots d’ordres et rajouter toute une liste sur la banderole : « Un logement pour tous ! », « Un emploi digne pour tous ! », « de la lumière pour tous ! », « éducation pour tous ! », etc. J’en fais part aux compagnons de marche. L’idée plait…

Nous quittons le centre-ville d’Archena. Des nuages commencent à cacher le soleil. Nous traversons le vieux pont métallique sur le Segura. Nous passons à travers un quartier où ont été construites plusieurs écoles publiques. Les élèves et les enseignants sont dehors dans la cours, et nous saluent avec force cris et applaudissements. Le moment est très émouvant. Pépé me dira qu’il avait prévenu les enseignants pour faire coïncider la récrée avec le passage de la marche. En fait, nous avions un quart d’heure de retard, mais la récré, apparemment, a duré un peu plus longtemps aujourd’hui…



Le dernier quartier d’Archena que nous traversons est La Al Gaida, d’où vient l’association de femmes qui avait préparé le repas de la veille. C’est jour de marché dans ce quartier pauvre. Nous sommes applaudis.
Nous quittons définitivement Archena. Nous traversons les huertas qui bordent le Segura. Les citronniers sont en fleur. Mais la bonne odeur d’Azahar ne s’exprime pas totalement. Les nuages couvrent le ciel maintenant. Le vent s’est levé. Et quelques gouttes commencent à tomber. Quand nous traversons un petit hameau, la pluie s’intensifie, le tonnerre gronde. Celles et ceux qui marchent depuis Yecla sont bien équipés de poncho et d’imperméables. Ceux d’Archena, comme moi, étaient partis en chemise. Des parapluies s’ouvrent et se distribuent. Mais la pluie devient torrentielle. Nous nous protégeons encore sur quelques centaines de mètre sous la banderole de la marche. Puis, surtout à cause du vent, tout le monde cherche refuge dans le hameau. Avec les porteurs de la banderole, je me retrouve le long d’un mur qui nous protège du vent. La dame qui habite là nous invite à rentrer au sec chez elle. Elle sort toutes les serviettes éponges qu’elle peut pour que nous nous séchions. Elle donne même le Tshirt de son fils à un de nous qui était particulièrement mouillé.



L’orage passe. Nous repartons sous les dernières gouttes, protégés par les sacs poubelles que nous a donnés notre hôte d’une averse. Nous traversons Ceuti sous une petite pluie avec seulement un petit arrêt devant la mairie. Quatre personnes nous attendaient à l’entrée du village, et nous laissent à la sortie. Nous retraversons le Segura et rentrons dans Lorqui. Marco recommence à marmonner : « Lorqui, c’est la seule mairie PSOE du coin. On va voir si le maire et l’équipe municipale va nous recevoir. » La place de la mairie nous apparaît vide. Il pleut. Ici, c’est pire que du blizzard. Marco me disait que, les jours de pluie, sa femme refusait d’envoyer leurs enfants à l’école. Quand nous commençons à monter les marches de la mairie, un petit homme avec un pull jaune sort. C’est le maire, me dit-on. Nous faisons une photo avec lui en haut des marches, puis commence une discussion. Je ne m’intéresse pas trop à ce qui se passe. Avec ce qui se dira par les uns et par les autres, je crois que la mairie comptait nous laisser nous reposer dans les sous-sols de la mairie, une sorte de garage pour les services techniques. Finalement, nous entrons dans la salle d’honneur, celle prévue pour les mariages. On est encore en train de monter les tables et les chaises des sous-sols. Nous engloutissons les pique-niques préparés le matin à Archena en buvant la bière et les sodas offerts par la mairie. C’est la pause. On se sèche les pieds, on s’occupe des ampoules, on fait la sieste. Et on discute. Un homme m’interpelle. « Qui es tu ? On m’a dit que tu viens de France ? Tu fais partie d’une organisation politique ? » Je lui parle du Parti de Gauche. Il s’appelle Franz. Il a vécu 10 ans en Allemagne, près de Bochum, où il a travaillé pour Opel. De là-bas il luttait contre le régime de Franco au sein du Parti Communiste Marxiste-Léniniste. Depuis la transition, le parti s’est dissous. Franz continue de militer, mais sans faire partie d’aucun parti. « Je suis libre ».

Secs et requinqués nous prenons le chemin pour la notre destination : Molina. La voiture-haut-parleur et el Canto a la Libertad cesse de nous suivre. Molina de Segura est la quatrième ville de la province, avec 70 000 habitants. C’est une ville ouvrière. Elle est entourée de zone industrielle. Assez rapidement nous nous trouvons sur une deux-fois-deux-voies qui les traverse. Je discute avec Tété. Il a fait partie d’organisation troskyiste. Maintenant il participe au mouvement du 15M. Ce qui lui importe le plus, c’est la manifestation spontanée des gens. Mais la moindre action collective suppose une organisation. Il voit bien que la bureaucratie qu’il critique dans les organisations de gauche traditionnelles, partis comme syndicats, ré-émerge à chaque fois qu’il y a un collectif. Néanmoins, il constate une rupture partout entre les gens de la base, et celles et ceux qui sont dans les directions des organisations. Alors que la marche que nous sommes en train de faire représente beaucoup. Il s’agirait d’un grand moment politique. Nous venons de recevoir des nouvelles de la marche qui traverse le Nord –Est de la province, parallèle à la notre. Ils sont plus nombreux que nous. Ils ont traversé Mula et Bullas où plusieurs conserveries ont fermé. Ce soir, Cayo Lara, le porte-parole national d’IU, les rejoindra. Je lui fais la remarque que me faisait Marco :  « où sont les 2000 chômeurs d’Archena ? ». Ils ne se considèrent pas comme une quelconque avant-garde, ni aucun de celles et ceux qui marchent. Mais il est là. Chacune et chacun qui marche compte. Les gens nous voient traverser les villes et villages de l’arrière-pays de Murcia. Malgré la pluie. Pour le noyau de 15 personnes qui cheminent depuis Yecla, cela fait plus de 80 km jusqu’à Murcia. Ces gens qui nous voient savent que nous sommes là. Beaucoup nous donnent des signes de solidarité : applaudissements, bras levés, coups de klaxon, jusqu’aux pompiers qui enclenchent leur sirène quand ils nous croisent…  et bien sûr les collectifs qui à chaque étape organisent l’accueil, offrent les repas… La vingtaine de personne qui marche tout ce temps sont bien plus qu’une vingtaine. Et puis, même parmi celles et ceux qui nous regardent aujourd’hui de travers, qui sait ce que la démonstration de notre détermination provoquera chez eux, d’autant plus si la situation continuant à se détériorer les impactera ?

Au fur et à mesure de la marche, je suis identifié comme le « Francès » de la marche. On me questionne sur ce qui se passe en France. Tous sont extrêmement surpris par les manifestations contre le mariage pour tous. Ici, tout le monde s’imaginait qu’en France, on ne s’opposerait pas si massivement à une telle loi. Pour beaucoup ici en Espagne, et d’autant plus parmi celles et ceux qui sont engagés à gauche, la France, c’est le pays de la Révolution et de la Laïcité. Je suis moi-même surpris par cette interpellation. Je connais ces portions conservatrices de la France. Elles s’étaient déjà manifestées contre le PACS. Mais à l’étranger, ici en tout cas, ceci n’est pas le visage de la France. En essayant de répondre, je me rends compte qu’en France aussi, on a été surpris. La droite elle-même ne s’y attendait pas. Je propose aussi comme explication que les opposants aux mariages pour tous ont mieux réussi la convergence avec des associations issues des migrations que la gauche. Il n’y avait pas que des représentants du catholicisme conservateur et intégriste, il y avait aussi des associations musulmanes et évangélistes qui ont réussi à drainer une participation de la part d’éléments homophobes parmi les français originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. Peut être que des meilleurs observateurs des manifestations contre le mariage pour tous contrediront ce que je conclue de quelques éléments « vu à la télé ».

On m’interpelle aussi sur les élections européennes. Ici, on ne croit pas que la gauche pourra y faire un bon score. L’abstention pour les européennes est généralement de 60%, et concerne particulièrement l’électorat de gauche. Avec la crise, la désillusion vis-à-vis de l’Europe est particulièrement exacerbée. Antonio, de la Intersindical, qui nous a rejoints à Lorqui, revient d’une réunion internationale de syndicats alternatifs en Seine Saint-Denis. Il y était avec la CGT (qui n’a rien à voir avec la CGT française, il s’agit d’une scission de la CNT, qui a gardé une culture libertaire). Il y a avait aussi SUD-solidaire, et d’autres syndicats belges, turcs, allemands. On est encore loin de résolutions communes. Il s’agit d’échange d’analyses sur la situation. Dans la discussion, la nécessité d’un programme commun à une sorte de Front de Gauche européen me semble de plus en plus grande. C’est ce que me répète mon beau-père depuis plusieurs mois. Mais comme nous sommes en retard dans l’organisation face à ce qui ressemble beaucoup à un plan concerté qui se déroule à travers l’Europe pour appliquer l’austérité et remettre en cause la démocratie ! Comme me semblent alors vaines, futiles et irresponsables les bisbilles et chamailleries qui occupent tant de temps parmi les militants des gauches et du mouvement social, ici en Espagne comme chez nous en France !
A l’entrée de Molina, plusieurs banderoles nous attendent. Nous sommes une cinquantaine accueillis par quelques centaines. Tout le monde se retrouve sur la place centrale. Des tentes ont été montés pour nos protéger des intempéries. Mais ce soir nous n’en auront plus besoin. Les odeurs de cuisines flottent déjà. Ce soir, nous nous régalerons de Paella aux artichauts, de Gazpacho manchego (qui contrairement à celui d’Andalousie, se mange chaud, il n’y a pas de tomate, mais du lapin, des légumes et des sortes de galettes de farine bouillie dans la sauce de cuisson, excellent !) et grillades. Des enfants jouent au ballon.

Pour conclure, je traduis (librement et approximativement) des extraits du discours donné par Pedro Martinez (si j’ai bien compris son nom), une figure syndicale locale :
« Nous tenons spécialement à remercier les gens de la marche, aux femmes et aux hommes qui ont marché à travers la Province.  Ils ont marché à travers la Province pour défendre des droits pour lesquels nous nous sommes battus pendant de nombreuses années. Et ils vont défendre ces droits parce qu’il faut les défendre. En effet, les travailleur.e.s doivent travailler, mais elles/ils doivent travailler dans la dignité. Je crois qu’il faut remercier celles et ceux qui marchent surtout parce qu’elles/ils sont exemplaires. Ils représentent tous les citoyens qui sont impactés par les coupes budgétaires, les moyens supprimés par le gouvernement, par les coupes dans la sécurité sociale, dans la santé, dans l’éducation, par la réforme laborale [équivalent de la loi de fléxi-insécurité défendue par le gouvernement français en ce moment]. Nous devons leur dire merci parce que par leur exemple la conscience de beaucoup de femmes et d’hommes de cette région commence à se réveiller. Jusqu’à présent, elles/ils avaient peur. Il faut dire : ou bien nous nous bougeons pour défendre nos droits, ou bien toutes et tous nous serons touché.e.s. » 

Aucun commentaire: