mardi 16 avril 2013

Contre les mariages prostitutionnels


Pour l'Eglise, le mariage est un sacrement. C'est-à-dire le signe concret de l'amour de Dieu pour son humanité. Déjà l'Ancien Testament avec le Cantique des cantiques porte le témoignage que les amours humaines peuvent être à l'image et à la ressemblance de l'amour que Dieu propose à l'humanité. Les chrétiens sont donc tout à fait légitimes pour promouvoir dans la société des conditions telles que chacun puisse vivre des amours à l'image de l'amour de Dieu. Ces temps-ci, nombre de chrétiens se sont mobilisés contre la loi du « mariage pour tous », considérant que l'ouverture des droits du mariage civil aux couples homosexuels mettraient en danger ces conditions. Pour eux, le mariage homosexuel dévoierait le sens profond du mariage. Pour ma part, mon expérience militante de rencontre et d'accompagnement des personnes prostituées au sein du mouvement du Nid, m'a poussé à méditer à la lumière du livre d'Osée en quoi le mariage pouvait constituer une institution opposée à la prostitution. Or Osée nous montre comment les logiques de la prostitution peuvent s'infiltrer dans un couple et pervertir le mariage. Prévenir des perversions qui menacent l'amour fait donc partie des missions de l’Église. La prostitution constitue à mon avis l'archétype du détournement de l'amour. Là où l'amour est gratuité, la prostitution prétend possible de l'acheter et de la vendre. Là où l'amour est liberté, la prostitution n'est que jeu de domination et d'humiliation. Là où l'amour rend possible toutes naissances, biologiques comme spirituelles, la prostitution est fermeture à l'avenir. De tous ces risques, les couples homosexuels ne sont pas exempts. Cependant je ne vois rien qui leur interdit forcément d'accueillir la gratuité, la liberté et la fécondité de l'amour. Le risque de la mobilisation des chrétiens contre le mariage homosexuel est donc d'oublier pourquoi le mariage est une institution humaine si importante pour l’Église. Il ne s'agit pas d'une institution formelle nécessaire au bon ordre de la société, il s'agit d'une forme d'incarnation de l'amour de Dieu parmi les humains qui libère des logiques de la prostitution : la violence, la cupidité, l'absence de foi. Le risque alors est de se tromper dans l'avertissement que nous adressons à nos contemporains. Ce sont les logiques de la prostitution dont il faut préserver le mariage, et non les écarts vis-à-vis d'un formalisme arbitraire.

Or de nombreux aspects du « couple chrétien », tel qu’on pourrait le concevoir à écouter ses défenseurs ou à observer ceux qui prétendent l’incarner, ne présentent que de faibles résistances aux logiques prostitutionnelle. Pour simples preuves pratiques, il suffit de constater la persistance de la prostitution dans les pays et les régions sociologiquement chrétiennes. La résistance spirituelle contre la prostitution de ces familles chrétiennes est si faible qu’elle n’empêche par leurs hommes d’être clients-prostitueurs. Parfois même j’ai entendu des épouses « de bonne bourgeoisie chrétienne » préférer que leur mari aille voir les « belles de nuit », plutôt qu’ils les « trompent avec une maîtresse». Leur résistance spirituelle est si faible qu’elle n’empêche pas leurs filles et leurs fils de se laisser entraîner à l’autodestruction dans la prostitution. Je me rappelle du témoignage d’une jeune femme qui méprisait tant son corps que se laisser prostituer constituait pour elle une manière de vengeance sur le regard qu’on a porté sur elle depuis toute petite. De même, de nombreux garçons, victimes d’homophobies dans leur adolescence, croient découvrir leur identité sexuelle en se livrant corps et âme au milieu de la prostitution homosexuelle. Elle est si faible cette résistance spirituelle que des pays à majorité chrétienne, gouvernés par des partis prétendument chrétiens, laissent l’état organiser la prostitution, comme l'Allemagne et l'Espagne. Et quand les pays chrétiens ne sont pas réglementaristes, ils sont prohibitionnistes comme l’Irlande et la majorité des Etats-Unis. C’est dire s’ils n’ont rien compris où se trouvent le problème dans la prostitution, croyant que le scandale serait le « vice » des personnes prostituées, alors que le scandale est au contraire le fait qu’elles soient exploitées et humiliées.

Il ne suffit pas d’être en couple, ni d’être hétérosexuel, ni d’avoir des enfants « biologiquement naturels », ni même de n’avoir de relations sexuelles qu’avec son partenaire (ce qu’on croit suffisant pour définir la fidélité), pour échapper aux logiques prostitutionnelles. Le livre d'Osée témoigne d'une expérience spirituelle incarnée qui a peut être été fondatrice dans l'histoire de la Foi judéo-chrétienne. Osée a épousé Gomer, une femme prostituée. Ce faisant, il se faisait prophète de l'amour de Dieu pour l'Humanité. La relation entre Osée et Gomer est une histoire tragique et douloureuse, où l'on voit les logiques de la prostitution continuer à être à l’œuvre pour pervertir l'amour. En suivant Osée et Gomer, nous pouvons être averti de ces dangers. J'en identifie trois, qui sont trois formes d'idolâtrie dans le mariage :


Le sacrement du mariage catholique n'est pas au service de la stabilité d'une certaine société. Il est au contraire subversif. Dès son institution canonique au XIIeme siècle, il dérange par la centralité qu'il donne au libre consentement des épouxes. La péricope, où Jésus réaffirme l'indissolubilité du mariage face à la loi de Moïse autorisant la répudiation des femmes, peut être considérée comme la racine évangélique du sacrement du mariage. Or une telle prise de position fait certainement partie de ce qui a mené Jésus sur la croix. Jésus ne condamna pas les personnes prostituées, au contraire il présenta certaines d'entre elles, apparemment devenu disciples de Jean le Baptiste, comme précédant les prêtres du temple dans le Royaume. S'étant convertie à la prédication de Jean, elles avaient rompu avec l'idolâtrie. Les prêtres, eux, malgré leur pureté rituelle que Jésus ne remet pas en doute, sont toujours dans l'idolâtrie. L'enjeu de la Foi chrétienne, ce n'est pas des formalismes rituels ou moraux, c'est la Foi des humains en un Dieu aimant.
La comparaison que l'Ancien Testament fait souvent entre prostitution et idolâtrie permet de proposer une théologie basée sur l'analogie entre amours humaines et amour divin : une théologie des épousailles.

Donc si les chrétiens sont légitimes à s'engager dans la société pour promouvoir un certain type de mariage, c'est bien pour promouvoir les épousailles, les mariages qui incarnent l'amour. Et s'il y a certains types de mariage à dénoncer, ce sont les mariages contaminés par la prostitution. Le mariage homosexuel serait-il forcément un mariage prostitutionnel ?

Ni plus ni moins que le mariage hétérosexuel.

 Mais en se mobilisant contre cette loi, les chrétiens semblent oublier ce qui fait le cœur sacramentel du mariage qu'ils prétendent défendre. Le plus grand risque se trouve là à mon avis.
Car un couple hétérosexuel, pas plus qu'un couple homosexuel, n'est à l'abri de la prostitution provoquée par l'argent, ni par celle provoquée par la violence, ni enfin par celle qui induit une stérilité spirituelle.
S'engager dans la société, jusqu'à la politique, pour promouvoir les épousailles, c'est à dire garantir des conditions sociales, culturelles et économiques qui ne favorisent pas les logiques prostitutionnelles, ça suppose donc de s'engager:
- contre la prostitution au sens strict, et donc pour son abolition;
- contre la précarité, en particulier celle des femmes, et tout ce qui engendre la précarité, notamment l'inégale répartition des richesses et l'insécurité sociale au travail;
- contre les violences conjugales;
- contre tout ce qui s'oppose à l'égalité entre femmes et hommes, dans les représentations culturelles, mais aussi dans les institutions, politiques comme ecclésiales;

Les opposants au mariage pour tous ont beaucoup prétendu défendre le droit des enfants. L'argument qu'un couple homosexuel en adoptant mettrait en danger ses enfants ne me parait pas sérieux. Mais quand bien même il le serait, considérant la pauvreté qui touchent dans notre pays et dans le monde avant tout des enfants, les combats que je viens de lister répondent, me semble-t-il, beaucoup mieux aux droits des enfants à grandir dans la sécurité économique, affective et culturelle.

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